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TV5MONDE : Comment qualifieriez-vous le match du Maroc face à l’équipe de France ? Comment l’avez-vous vécu ?
Mansour Loum, journaliste spécialiste du football africain : J’ai été un peu déçu par l’entame, par la façon dont le match a été abordé. Malgré les incertitudes sur les joueurs blessés qui d’ailleurs sont sortis en cours de match, il aurait fallu rester dans le même schéma que face au Portugal et l’Espagne, avec le système 4-4-3 qui fonctionnait. En passant à une défense à 5, on a senti des petits soucis d’automatisme dès le début du match, ce qui a été fatal sur le premier but.
En revanche, j’ai été agréablement surpris par la réaction. J’avais peur que le Maroc ne sombre en encaissant un but si tôt. Ils se sont montrés offensifs sans forcément se désunir et laisser des failles à l’arrière.
TV5MONDE : Trouvez-vous le score final sévère ?
Mansour Loum : Le score final reflète la physionomie d’un match entre une équipe de France ultra réaliste, et une équipe du Maroc qui a eu des opportunités mais n’a pu les concrétiser. Juste avant la mi-temps, c’était très chaud devant les buts de l’équipe de France et rentrer à la mi-temps à un partout, cela aurait changé pas mal de choses. Au retour des vestiaires, le Maroc a poussé et s’est créé des occasions franches. Malheureusement quand l’équipe de France mène au score et est en position de contre. C’est une situation qui lui convient bien.
Des joueurs marocains qui étaient moins connus, avec une cote moindre, vont prendre d’un coup une certaine valeur.
Mansour Loum, journaliste spécialiste du football africain.
TV5MONDE : La défaite contre la France a-t-elle mis fin aux rêves du Maroc ?
Mansour Loum : Non je ne pense pas. Car il y a le discours et la réalité. Si on regarde ce qu’a fait le Maroc dans cette compétition, je ne dirais pas que c’était le match de trop, mais il a accumulé trop de soucis physiques. Peut-être que ce groupe avec ses titulaires était arrivé à son maximum. On ne peut pas espérer battre une équipe du calibre de la France en demi-finale avec autant de joueurs diminués physiquement.
Ils n’ont pas de regret à avoir, ils ont donné le maximum de ce qu’ils ont pu. Ils restent une troisième place à aller chercher, ce n’est pas rien.
Être sur un podium de Coupe du monde n’est jamais arrivé à une équipe africaine. Donc ils écriraient la plus belle page du football africain. Je ne pense pas que le rêve soit terminé. Il faut justement finir cette aventure avec une troisième place plutôt que deux défaites, car ce n’est jamais bon pour la dynamique.
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TV5MONDE : Cette Coupe du monde va-t-elle transformer la carrière des joueurs marocains ? Qu’est-ce qu’elle va changer ?
Mansour Loum : La Coupe du monde c’est ce qui se fait de mieux en terme de vitrine sur la scène internationale, outre la Ligue des champions qui est autre chose. Des joueurs marocains qui étaient moins connus, avec une cote moindre, vont prendre d’un coup une certaine valeur. Je pense notamment à Azzedine Ounahi le milieu de terrain (SCO Angers, 22 ans , NDLR). Il a fallu que le sélectionneur espagnol Luis Enrique parle de lui en conférence de presse et automatiquement tout le monde s’est jeté dessus. Il peut donc remercier Luis Enrique.
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Cela dit les observateurs avaient remarqué qu’il faisait un très bon mondial. Ce genre de chose est un accélérateur de carrière. C’est sur que du côté d’Angers, le téléphone va pas mal sonner. Il y a aussi Sofyan Amrabat, qui a montré de très grandes qualités et qui peut jouer dans un club beaucoup plus huppé que la Fiorentina.
Même Ziyech en mal de jeu à Chelsea, je pense qu’il va rebondir ou trouver un club cet hiver. Bounou le gardien a montré qu’il fait partie des tops gardiens du monde, donc forcément des clubs vont se positionner. Cela rappelle un peu ce qui est arrivé à Edouard Mendy (le gardien de but du Sénégal, engagé à Chelsea, NDLR) à l’époque quand il était à Reims et après cela va très vite. Il y a beaucoup de joueurs qui ont marqué des points dans cette équipe du Maroc.
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TV5MONDE : Quelle est la recette de Walid Regragui dans la réussite des Lions de l’Atlas ?
Mansour Loum : Premier point : le discours, c’est très important. Certains disent que quand il a annoncé qu’il va gagner la Coupe du monde, c’était fantaisiste. Mais en fait pas tant que ça. L’idée c’est de dire “on est là sur un terrain à 11 contre 11, tout peut arriver”. Une fois que les joueurs ont adhéré à ce discours là, on a vu le résultat sur le terrain. En fait, une fois que la tête valide le discours les jambes vont suivre. C’est la première réussite.
Ensuite, il y a le dispositif. Quoiqu’on en dise, des joueurs comme Ziyech et Boufal n’aiment pas forcément défendre à la base. Ils sont offensifs et créatifs, ce qui les intéresse c’est finir dans les 30 derniers mètres. Pourtant, on a vu la grosse discipline tactique de tous les joueurs du Maroc, les 11. C’est aussi une des recettes de Walid Regragui.
Cette mane financière va permettre d’investir davantage, peut-être dans d’autres zones car il y a beaucoup d’académies à Casablanca.Mansour Loum, journaliste spécialiste du football africain.
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Enfin, ce n’est pas qu’une équipe défensive malgré ce que l’on dit parce qu’ils ont perdu. Quand on leur laisse le ballon ils savent faire des choses et la France n’était pas loin de la correctionnelle. C’est un groupe qui s’adapte à l’environnement et au système et cela est très important pour espérer aller loin dans une compétition, notamment pour les prochaines échéances.
TV5MONDE : Le parcours du Maroc va générer d’énormes ressources financières, au moins 25M de dollars pour une 4e place (27M pour le 3e) : est-ce que cela aura un impact pour la Fédération Marocaine Royale de Football (FMFR) qui est déjà plutôt bien dotée, ou pour le football au Maroc ?
Mansour Loum : Au-delà de la Fédération, je pense que cela aura plus un impact pour le football au Maroc. Il récolte les fruits de son travail sur un certain nombre d’années. Il y a eu un investissement fort de la Fédération, un investissement du Roi carrément, il y a des choses qui ont été mises en place avec les académies pour former des joueurs au niveau local. Cette manne financière qui va se dégager grâce à cette Coupe du monde, cela va quelque part être un retour sur investissement.
Surtout, cela va permettre d’investir davantage, peut-être dans d’autres zones car il y a beaucoup d’académies à Casablanca, maintenant on va faire pareil à Tanger, à Marrakech par exemple. Ou bien développer les académies existantes et avoir davantage de maillage du territoire marocain et repérer des jeunes avec les meilleurs potentiels.
TV5MONDE : Première équipe africaine et arabe en demi-finale, les Lions de l’Atlas jouissent d’un soutien ou de la sympathie de tout le continent africain et même au-delà, selon vous les bénéfices pour le Maroc en termes d’image, vont-ils au-delà du sport, voire au niveau politique et géopolitique ?
Mansour Loum : Depuis un moment le Maroc agit par le softpower, le pouvoir d’influence, notamment à travers le football. Beaucoup de matchs de compétitions internationales se passent au Maroc, sont pris en charge par la Fédération marocaine etc. Cela crée des liens et des sympathies entre les fédérations et des intérêts communs. Avec le soutien des autres fédérations notamment, le Maroc récolte le fruit de tout ce travail de longue haleine qui fait qu’on s’attire cette sympathie là.
Derrière les Lions de l’Atlas, bien plus qu’un pays
TV5MONDE : Au-delà des fédérations et des institutions, cette sympathie se voit au niveau populaire dans toutes les capitales africaines ou dans le monde arabe, on a vu des drapeaux marocains brandis, qu’est-ce que cela signifie et peut apporter ?
Mansour Loum : Le football africain est tellement raillé ou décrié, à raison ou à tort ce n’est pas forcément la question, que à un moment donné il y a beaucoup d’Africains qui se disent ce serait bien qu’une équipe africaine fasse taire toutes ces critiques et aille loin en coupe du monde. C’était important à une époque où il n’y a jamais autant de joueurs africains qui jouent dans des si grands clubs et disputent les compétitions les plus prestigieuses.
C’est le moment de montrer qu’il n’y a plus non pas ce complexe d’infériorité mais le fait que l’on se mésestime par rapport aux autres. Beaucoup se sont donc reconnus dans cette équipe du Maroc qui incarnait ces valeurs et un coach avec ce discours disant « non nous ne sommes pas plus mauvais que les autres, cela peut se jouer sur un match, on est capable de battre n’importe qui. C’est ce qu’ils ont tenté de faire durant toute la compétition.
TV5MONDE : The Jerusalem Post avait titré en une le jour de la demi finale « We are all Morocans”, que vous inspire cette Une de l’un des plus grands quotidiens israéliens plutôt conservateur ? L’avez-vous vue ?
Mansour Loum : Honnêtement je n’ai pas vu cette Une. Qu’est ce que cela m’inspire, je ne peux pas dire. En fait, c’est une équipe qui s’est attirée la sympathie. Dans l’histoire du football, c’est comme en coupe de France ou coupe d’Angleterre, quand le petit vient déjouer les pronostics et surtout qu’il enchaîne les victoires contre les gros. Du coup on se dit où va-t-il s’arrêter ? Je ne suis pas forcément étonné pour autant.
TV5MONDE : N’est-ce pas aussi un écho géopolitique du rapprochement du Maroc avec Israël ?
Mansour Loum : Là je ne suis pas au courant de ce qui se passe dans ce domaine.
TV5MONDE : On a vu souvent des drapeaux palestiniens portés par les supporteurs marocains dans les stades et au Maroc, des images montrent que les Palestiniens supportent les Lions de l’Atlas, qu’est-ce que cela dit selon vous de la relation entre Marocains et Palestiniens, voire de l’image du Maroc dans le monde arabe ?
Mansour Loum : Ces choses ne datent pas d’hier. On l’a souvent vu avec le Maroc ou même quand l’Algérie et la Tunisie ont eu un certain succès. Le monde arabe est ainsi, il se soutient et soutient une cause. Ce n’est donc pas étonnant et personnellement je n’y vois aucun problème. Cela montre justement qu’il y a cette unité et cette solidarité du monde arabe.
La demi-finale Maroc-France vue d’Algérie
En revanche, au niveau de la Fifa par exemple, ils n’y sont pas très favorables pour ne pas mêler la politique. Ce qui est ironique dans cette histoire est que le football n’a jamais été aussi politique.
TV5MONDE : Quel serait le prochain objectif pour les Lions de l’Atlas après cette Coupe du monde ?
Mansour Loum : Maintenant il s’agit d’assumer ce changement de statut, car en tant que demi-finaliste de Coupe du monde, on n’est plus n’importe qui, pour ainsi dire. Il va falloir prouver sur la continuité que ce n’était pas un coup de chance. Les prochaines échéances seront les éliminatoires à la CAN. Le Maroc va revenir, entre guillemets, à son pain quotidien qui est difficile : des pelouses qui ne sont pas forcément de bonne qualité, des adversaires qui sont très rugueux et surtout ils vont attendre le Maroc au tournant.
Tout le monde voudra se payer le scalp du Maroc en se disant “j’ai battu le demi-finaliste de la Coupe du monde”. Le Maroc devra montrer qu’il a passé un cap. Le prochain défi sera forcément de se qualifier à la CAN et faire bonne figure.
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TV5MONDE : Le Maroc a été 5 fois candidat malheureux pour organiser une Coupe du monde, le parcours des Lions de l’Atlas donne-t-il plus de poids à une candidature du Maroc pour organiser la Coupe du monde en 2030 ?
Mansour Loum : La Coupe du monde va changer de format et passer à 48 équipes, cela change pas mal de choses dans le cahier des charges. Que le Maroc organise une Coupe du monde à 32 équipes, je pense que c’est possible. Mais le passage à 48 nécessite de revoir certaines choses. Certes, quand un pays attire la lumière sur soi comme ça, il marque des points. Mais pour une coupe du monde à 48, il serait peut-être plus judicieux de se tourner vers des co-organisations, ce serait ce genre de dossier que va favoriser la Fifa pour l’attribution.
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