On a beau chercher, il n’y a pas une case du business qu’il n’ait pas cochée. Dans les réseaux du président Macron, il y a de tout. Du grand patron, type Thierry Breton (Atos), qu’il avait conseillé chez Rothschild. Du banquier en pagaille, bien sûr. Du patron solidaire, façon Jean-Marc Borello, du groupe SOS. Du startupper – ils l’adorent. Et du quadra flamboyant, comme lui : Alexandre Bompard, le nouveau patron de Carrefour, est un ami – et sa femme conseillère justice à Matignon, ce qui ne gâche rien. C’est à peine si l’on déplore quelques frictions, comme avec Carlos Ghosn (Renault-Nissan), quand Emmanuel Macron était à Bercy.
Une fascination réciproque, des épouses qui s’entendent à merveille. Entre le président de la République et le fondateur de Free, on peut vraiment parler de proximité. Présentés par un ami commun en 2010, juste après le rachat du “Monde” par le trio Bergé-Niel-Pigasse, les deux ont vite multiplié les déjeuners. Xavier Niel a présenté à celui qui n’était encore “que” secrétaire général adjoint de l’Elysée ses camarades des start-up. Lorsque Macron a voulu lancer la sienne (une sorte de Toefl pour évaluer les élèves), il s’est tourné vers son nouvel ami.
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Le déjeuner a eu lieu en juillet 2014 à Los Angeles. Leurs compagnes, Brigitte Macron et Delphine Arnault, y ont lié connaissance. Mais, coup de théâtre, Emmanuel Macron a été nommé à Bercy. C’est donc en cachette, un dimanche, que le nouveau ministre est allé, en septembre 2014, visiter l’école 42 de Xavier Niel. Depuis, la complicité continue, à coups d’appels tardifs et de déjeuners discrets. Et l’indépendance du “Monde” dans tout ça ? Xavier Niel l’assure à qui veut l’entendre : le quotidien n’est et ne sera pas la “Pravda”. Pour l’heure, les unes répétées sur l’affaire Richard Ferrand semblent le confirmer.
Avec les autres patrons de presse, les relations sont moins directes. Le cœur de Bernard Arnault, beau-père de Xavier Niel, penchait plus vers François Fillon. Mais le P-DG de LVMH, rompant avec son habituelle discrétion, a publié dans son propre journal, “Les Echos”, une tribune à la gloire de Macron deux jours avant le second tour : “S’offre aux Français la branche de l’espérance et de la raison…” Seul Serge Dassault, propriétaire du “Figaro”, se livrait jusqu’alors à ce genre d’exercice. L’appui n’est pas passé inaperçu. En outre, Louis Vuitton est depuis six mois le fournisseur officieux de la première dame et aurait même réalisé un sac marqué de ses initiales, BM. “Les robes sont rendues”, assure l’entourage de LVMH. Ouf !
S’agissant de Macron, Martin Bouygues (TF1) est plus circonspect. Il n’a pas oublié les exigences posées à la dernière minute par Bercy, qui ont fait capoter le rachat de Bouygues Telecom par Orange en 2016. L’inflexible Martin s’est toutefois montré sport : Didier Casas, le secrétaire général de Bouygues Telecom, a pu mettre entre parenthèses son job pour participer à l’élaboration du programme du président élu. Patrick Drahi (BFMTV, “L’Express” et “Libération”) n’est pas davantage un proche.
Le patron d’Altice SFR a rencontré trois fois Macron à Bercy, rien de plus. Ils ne partagent pas leur 06. En revanche, son collaborateur, Bernard Mourad, ancien gérant d’Altice Media et ex-banquier chez Morgan Stanley, est un ami de quinze ans d’Emmanuel. Il a quitté ses fonctions chez Altice pour rallier très tôt l’équipe d’En marche ! Il s’est vivement défendu pendant la campagne de jouer les passe-plats.
Quant à Vincent Bolloré (groupe Canal+), il sait tisser des fils avec tous les pouvoirs. Entre ses réseaux africains, sa proximité avec l’ex-grand flic Ange Mancini, que Macron aurait consulté sur les questions de sécurité, ou le canal breton, partagé avec Jean-Yves Le Drian et l’ancien maire de Quimper, Bernard Poignant, les relais ne manquent pas.
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Enfin, les dossiers panégyriques de “Paris Match” pourraient faire croire à la sympathie d’Arnaud Lagardère pour le locataire de l’Elysée. Explication plus prosaïque : Macron fait vendre. Et gagner beaucoup d’argent à Mimi Marchand, l’amie du couple présidentiel, et dealeuse de photos avec son agence Bestimage.
On n’en a vu aucun dîner à La Rotonde au soir du premier tour. Trop risqué. C’est pourtant grâce à ses amis banquiers qu’il a mobilisé 12 millions d’euros de dons pour sa campagne. Au centre, figure David de Rothschild, 74 ans, président de Rothschild & Cie, son boss de 2008 à 2012. Emmanuel Macron l’appelle son “grand frère”. Lequel le lui rend bien. La filière Rothschild, c’est aussi François Henrot, 67 ans, vice-président de la banque d’affaires. C’est grâce à lui que Macron, quand il travaillait pour l’établissement, a conclu le deal à 9 milliards d’euros (le rachat d’une filiale de Pfizer par Nestlé) qui lui a permis de devenir millionnaire.
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Autre banquier clé : Christian Dargnat, 51 ans, ex-directeur général de BNP Paribas Asset Management. Il gère les finances d’En marche ! Macron l’a connu via Stéphane Boujnah (Euronext, ex-Deutsche Bank, ex-Santander), rencontré à la Commission Attali pour la libération de la croissance en 2007. A l’époque, Macron se lie aussi avec Bernard Mourad, déjà cité, qui voulait embaucher Macron chez JPMorgan en 2007. Puis, en août 2014, qui l’a aidé pour son projet de start-up et, enfin, a rejoint son équipe de campagne.
Autre rabatteur de fonds, Samir Assaf, 57 ans, directeur général de la banque d’investissement du groupe HSBC. C’est lui qui a organisé le 8 septembre 2016 à son domicile londonien un dîner avec de riches Français de la City et potentiels donateurs. Un autre directeur de HSBC, Christian Deseglise, 54 ans, a joué un rôle similaire à New York. Ces soutiens étaient-ils désintéressés ? Ils ne le diront jamais.
Soutien de la première heure, le fondateur de Meetic, Marc Simoncini raconte ce rendez-vous, début 2016, avec Macron à Bercy : “Je lui ai dit : “Les gens vont élire quelqu’un hors système, cela ne peut être que toi.”” Après quoi, cette figure de la French Tech et chasseur de monopoles dans le secteur de l’optique a organisé des groupes de travail avec le microcosme du numérique. Il a été question d’ISF (que le patron espérait voir disparaître), de taxation des plus-values, etc.
Le futur président était comme un poisson dans l’eau. Témoin encore ce dîner à Bercy où les “Barbares” autoproclamés, les Frédéric Mazzella (BlaBlaCar), Vincent Ricordeau (KissKissBankBank) ou Nicolas Colin (The Family) avaient plaidé pour le dynamitage des secteurs verrouillés, comme la banque ou les transports. Leur auditeur a, lui, dynamité la politique.
Le patronat est sorti du bois pour les législatives. On comptait 157 candidats En marche ! à la tête de grosses PME ou de petites sociétés ! Comme Stéphanie Villemin, dans le Haut-Rhin, professionnelle de l’immobilier et ralliée de la première heure. “Macron a tout compris, c’est l’homme politique de ces quarante dernières années”, s’exclame-t-elle. Macronmaniaques ? Eux disent vouloir insuffler la culture de l’efficacité dans l’appareil d’Etat. David Simonnet, P-DG d’Axyntis (450 salariés dans la chimie fine), candidat dans le Loiret et auteur du bréviaire “Les 100 Mots de l’entreprise”, veut réconcilier les Français avec le business. Le serrage de mains sur les marchés ? Même pas peur.
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Le patron s’est mis en congés payés pour se consacrer à 100% au terrain. On l’a vu tracter à 4 h 30 devant le RER D que les travailleurs empruntent pour aller à Paris. Elue au conseil de Pacte PME, la start-uppeuse, Corinne Versini, candidate dans les Bouches-du-Rhône face à Jean-Luc Mélenchon, rêve, elle, de créer un Small Business Act à la française. “J’ai des idées, j’ai rencontré trop de gens qui ont besoin de pas grand chose pour réussir.” Mais une campagne, cela coûte cher. Christophe Itier, figure de l’économie sociale et solidaire dans les Hauts-de-France (il dirige Sauvegarde du Nord), a dû faire un emprunt de 20.000 euros et récolter des dons privés pour la financer.
En sortant l’étendard En marche !, ces candidats P-DG ne s’attendaient sans doute pas à voir leur bio passée au scanner. L’adversaire de Najat Vallaud-Belkacem à Villeurbanne, Bruno Bonnell, chantre de la “robolution” (la révolution des robots), est ainsi servi. Un candidat de la France insoumise a déniché dans son jugement de divorce de 2011 une mention laissant entendre qu’il a fait de l’optimisation fiscale. N’a-t-il pas enregistré une société dans le Delaware, un Etat américain fiscalement doux ? On a même ressorti une sanction du gendarme de la Bourse vieille de quinze ans, du temps où il dirigeait Infogrames. Des “infos tronquées”, selon le patron de Robopolis, qui, du coup, a déballé sa situation patrimoniale.
Avec son “Make our planet great again”, détournement du slogan de Donald Trump, le président Macron s’est fait de nouveaux supporters dans la Silicon Valley. Il y a déjà noué des contacts au cours de ses voyages, notamment avec Evan Spiegel, de Snapchat, ou Brian Chesky, d’Airbnb… Une blague circule sur la côte Ouest, selon laquelle notre président parle mieux l’anglais que Trump.
Par Sophie Lécluse, Luc de Barochet et Chloé Goudenhooft
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