C’est une petite phrase qui ne passe pas. Lors de ses vœux aux Français pour l’année 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, a laissé entendre que personne n’avait prévu le changement climatique, dont les “effets spectaculaires” ont été particulièrement visibles en France en 2022 (incendies, vague de chaleur, sécheresse, surmortalité…). Reprenant le fil des “inimaginables défis” qui ont marqué l’année écoulée, il a évoqué la guerre en Ukraine, puis lancé lors de son allocution : “Qui aurait pu prédire la vague d’inflation ainsi déclenchée ? Ou la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ?”
Les scientifiques, qui alertent précisément sur ces risques depuis des décennies, n’ont pas apprécié. Au téléphone, Jean Jouzel ne masque pas sa déception. Cette figure de la climatologie française, qui a soutenu Anne Hidalgo lors de la présidentielle 2022, se souvient très bien d’une réunion à l’Elysée en septembre 2013 pour présenter les conclusions du cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Dans la salle, François Hollande, président, et son secrétaire général adjoint, un certain Emmanuel Macron. “Cela fait dix ans quand même, je ne comprends pas qu’il ait pu dire ça”, regrette-t-il.
“J’aurais pu parier que, pendant son mandat, il y aurait au moins une année d’événements extrêmes. La surprise, ce serait qu’une année comme 2022 n’existe pas.”
à franceinfo
Gonéri Le Cozannet, géologue et co-auteur du dernier rapport du Giec, a, lui, “ri jaune” en découvrant les propos du chef de l’Etat dimanche sur les réseaux sociaux.
“Au début, j’ai cru que c’était sorti de son contexte. J’ai regardé et j’ai trouvé ça assez stupéfiant. Il y a déjà eu six rapports du Giec, 27 COP, des alertes dans les années 1970 et 1980… On ne peut pas dire qu’on ne l’avait pas prévu”, commente-t-il. Le géologue voit dans cette sortie présidentielle une maladresse de communication – le discours a été relu et enregistré – révélatrice : “Que personne n’ait relevé cette phrase, cela montre que les enjeux ne sont pas compris”.
Un avis partagé par Magali Reghezza-Zitt, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC), créé en 2018 par Emmanuel Macron. “C’est un discours qui rate le sens de l’histoire. Il aurait pu être tenu dans les années 1980, pas en 2022”, observe-t-elle.
Elle voit dans le président de la République un “symbole de cette classe dirigeante, économique et politique, tous bords confondus, qui n’a pas pris la mesure du problème”. La géographe identifie également un “discours de capitulation” face au réchauffement climatique. “Il reprend un des arguments de l’inaction [le “on ne savait pas”], comme s’il anticipait que c’était perdu et qu’il commençait à se dédouaner avant même d’avoir essayé” de régler le problème.
Dire en 2022 qu’on ne savait pas, c’est simplement une ‘fake news’.
à franceinfo
En 2022, la France n’a quasiment pas réduit ses émissions de gaz à effet de serre, moteur du réchauffement climatique.
D’autres scientifiques ont réagi sur Twitter. Valérie Masson-Delmotte, climatologue et coprésidente du groupe de travail 1 du Giec, a cité la phrase présidentielle, en l’accompagnant d’un message de mai 2022 où elle listait les principaux risques de ce réchauffement en Europe. Ces dernières années, elle est venue plusieurs fois à l’Elysée (voir ici et là) pour expliquer le problème.
Christophe Cassou, climatologue et auteur du dernier rapport du Giec publié en 2022, propose pour sa part d’en envoyer un exemplaire au président de la République.
Le premier rapport du Giec, l’institution de référence sur le sujet, date de 1990. Si les connaissances ont progressé depuis, on pouvait déjà y lire (PDF, en anglais) que la consommation d’énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) et la déforestation par l’homme augmentait l’effet de serre et réchauffait notre planète. Les scientifiques y parlaient déjà (PDF, en anglais) de sécheresse, de vague de chaleur et de feux de forêts.
Chaque rapport publié depuis est venu confirmer ces connaissances. “Ce qui se produit aujourd’hui, c’est ce que nous avions anticipé”, confirme Jean Jouzel, qui a participé aux premiers rapports. Contacté par franceinfo, l’Elysée n’avait pas encore réagi au moment de la publication de cet article.
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