Des nouvelles têtes pour un nouveau – et dernier –, quinquennat. Après Frédéric Michel, le prochain «conseiller communication et stratégie» d’Emmanuel Macron, le romancier Baptiste Rossi, 28 ans, devrait occuper le poste de conseiller discours. Il remplacera Jonathan Guémas, nommé en 2018 et parti cet été chez Publicis. Depuis début juillet, le poste est occupé par la normalienne Sophie Walon, à l’Elysée depuis 2017, sur le départ d’ici à fin octobre. Le nom de l’écrivain était déjà «pressenti» fin août, selon une brève de Politico. Jeudi, un écho de Challenges mentionnait qu’il est en ce moment «mis à l’épreuve» à l’Elysée. L’entourage du chef de l’Etat confirme à Libé qu’il prendra ses fonctions dans la foulée du départ de Walon. L’auteur de deux romans sera chargé d’épauler le chef de l’Etat dans la rédaction de ses discours.
Baptiste Rossi est né à Toulon en 1994. Après une enfance à La Londe-les-Maures, près d’Hyères, le jeune homme ambitieux monte à Paris à 14 ans, et intègre le prestigieux lycée Henri-IV. Après Sciences-Po, il est admis à l’ENA (promotion Aimé-Césaire). Une ancienne camarade le décrit comme «assez discret». Un autre parle de «quelqu’un de plutôt difficile à cerner, qui n’était pas connu pour ses saillies dans la promo». «Je ne savais pas qu’il était de ce bord politique. Je l’aurais situé bien plus à gauche», ajoute cet énarque.
Ses années estudiantines sont marquées par la découverte du milieu politico-littéraire germanopratin. Après avoir envoyé son premier manuscrit à une demi-douzaine de maisons d’éditions, lors de ses années rue Saint-Guillaume, le jeune étudiant est publié chez Grasset. Son roman la Vraie Vie de Kevin, une satire de l’univers de la téléréalité, sort en 2014. «Proust contre Nabilla», résume-t-il à l’époque. Soit les deux mondes dans lesquels a grandi l’adolescent, la télé et la lecture – de Proust à Hugo, en passant par Bret Easton Ellis, Sylvain Tesson ou Michel Houellebecq. Le livre est nommé pour le prix Françoise-Sagan. «C’est quelqu’un de brillant, qui a une vraie passion pour la littérature, admire un ancien de Sciences-Po. Ce qui correspond probablement à ce que recherche le président de la République.» Autour du chef de l’Etat, on loue en effet sa «belle culture et politique et historique».
En 2017, deux mois avant le premier tour de la présidentielle, paraît son deuxième roman, le Roi du sud, un thriller politique sur fond d’affairisme politico-financier des années 80, dans son Midi natal. L’auteur y conte l’expérience frontiste à Toulon, après s’être inspiré de la lecture d’une biographie de l’ancien maire de la ville, Maurice Arreckx et des Affranchis, de Martin Scorsese. Paris Match bénit ce «surdoué du roman» quand le Monde fait l’éloge d’un «livre littérairement bien plus ambitieux que ne le laisse attendre sa trame linéaire et assez balzacienne». Le parti de Marine Le Pen, Rossi le considère alors «comme un objet, neutre, d’intérêt romanesque». «J’ai peut-être aimé, comme tous les médias, cette manière de considérer le FN comme un grain de sel dans les élections», confessait-il alors en 2017, dans l’entre deux tours de la présidentielle, lors d’un rassemblement organisé à la Maison de la chimie à Paris, à l’initiative de Bernard-Henri Lévy.
L’énarque, marqué par son enfance dans un Sud frontiste, garde une révulsion envers l’extrême droite. Et grince contre une partie de la jeunesse refusant le front républicain. «Le Front national est un tigre de papier, qui ne prospère que sur l’anémie d’idées et d’enthousiasme de la classe politique française», dénonçait-il dans une tribune au Monde en 2015. Lors des européennes de 2014, où le FN arriva en tête avec 25% des voix, l’étudiant mettait déjà en garde dans les colonnes du même journal sur l’arrivée au pouvoir de Le Pen, «une dirigeante follement ambitieuse dont l’action, au pouvoir, serait antidémocratique et désastreuse».
Collaborateur régulier de la Règle du jeu, la revue fondée par Bernard-Henri Lévy, Baptiste Rossi a déjà écrit sur le chef de l’Etat. En 2016, il avait suivi l’ancien ministre de l’Economie lors d’un meeting au Mans, décortiquant son discours. Extraits : «Lui [Macron] est assez bon – éloquent – mais son discours en cinq points […] a la sophistication glacée, le verbiage fascinant et la virtuosité ouatée d’un déroulé publicitaire» ; «En discours, Macron n’est pas toujours bon, sans métier ni puissance oratoire, il emporte son public sur le tard, par son messianisme. Pire, il parle trop, écouter son homélie demande une certaine dose de courage.» Auprès du Monde, en 2017, le romancier confiait vouloir «explorer la condition quasi métaphysique d’homme politique». Une envie qu’il pourra satisfaire à l’Elysée.
Mis à jour à 19h26, avec une précision sur Sophie Walon.
© Libé 2023
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