Critiques Une étude publiée lundi affirme ce que certains chercheurs craignaient déjà : le molnupiravir peut donner naissance à des virus « qui ont muté de façon notable »
Elle avait pourtant été recommandée par l’organisation mondiale de la santé (OMS). Deux ans après sa mise sur le marché, la pilule anti-Covid de Merck risque-t-elle désormais d’aggraver la pandémie ? Des chercheurs affirment que ce traitement contribue à faire émerger des mutations du virus, avec un risque pour l’heure théorique : donner naissance à des variants dangereux. « Le traitement au molnupiravir a laissé une trace visible dans les bases de données mondiales de séquençage » du génome du virus, conclut une étude publiée lundi dans la revue Nature.
Le molnupiravir est un traitement développé par le géant pharmaceutique américain Merck (dit MSD à l’international). Il s’agissait en 2021 de la première pilule anti-Covid, une avancée notable pour un arsenal pharmaceutique qui n’était jusqu’alors composé que de vaccins et de traitements nécessitant une administration complexe par intraveineuse.
Mais le molnupiravir, vendu sous le nom Lagevrio, a vite fait l’objet de critiques. Celles-ci ont en partie visé son efficacité limitée, notamment par rapport à son grand concurrent, le Paxlovid de Pfizer, qui l’a rapidement rejoint sur le marché. Surtout, son mode d’action a provoqué de vives réticences. Contrairement à d’autres antiviraux, comme le Paxlovid, le Lagevrio agit en s’intégrant directement au génome du virus. L’objectif est de déclencher une série de mutations de plus en plus désordonnées qui aboutissent à terme à l’extinction du virus dans l’organisme.
Des chercheurs ont, dès son lancement, estimé que ce mécanisme risquait de favoriser l’apparition de virus mutants et transmissibles d’un individu à l’autre. Ce risque avait contribué à une certaine frilosité des autorités sanitaires comme la FDA américaine qui n’avait approuvé le molnupiravir qu’à une faible majorité, ou la Haute Autorité de santé (HAS) française, qui l’a carrément écarté.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude publiée lundi, alors que l’étoile de la pilule de Merck a déjà pâli au vu de sa faible efficacité mais qu’elle reste encore largement prescrite dans certains pays, notamment en voie de développement. Les chercheurs ont étudié une vaste base de données, dite Gisaid, qui rassemble les génomes des virus recueillis chez de nombreux patients à travers le monde. Pour eux, la conclusion est sans appel : l’usage du molnupiravir est associé à l’apparition de mutations spécifiques.
Ils ont constaté l’apparition d’une « signature » spécifique au moment où la pilule avait commencé à être prescrite dans certains pays. Par contraste, elle est presque absente des endroits où le traitement n’était pas approuvé. En résumé, ce traitement « peut donner naissance à des virus qui ont muté de façon notable et qui restent viables, voire, dans certains cas, transmissibles », a expliqué à l’AFP l’un des auteurs, le généticien Theo Sanderson.
Ces conclusions ont été rejetées par Merck. Selon le laboratoire américain, l’étude ne met en avant qu’une corrélation sans permettre d’affirmer un lien de cause à effet entre son traitement et ces mutations. Les auteurs se basent sur des « associations circonstancielles », a déclaré le groupe auprès de l’AFP.
Reste que l’étude convainc plusieurs chercheurs qui n’y ont pas participé, tel le virologue Stephen Griffin qui a salué auprès du Science Media Center (SMC) britannique un travail « bien mené et d’une importance exceptionnelle ». Comme les auteurs de l’étude, il insiste sur un point : les mutations repérées ne semblent pas, en elles-mêmes, avoir été particulièrement dangereuses ou contagieuses. « Mais ces résultats ont des implications importantes pour la suite de la pandémie », prévient Stephen Griffin. En effet, tout phénomène qui accélère les mutations du virus fait courir à terme le risque de faire naître des variants plus dangereux ou, comme l’avait été Omicron à son apparition, nettement plus transmissibles que ses prédécesseurs.
Faut-il dans ce contexte cesser de prescrire du molnupiravir ? Les auteurs de l’étude se gardent bien de se prononcer, restant sur le terrain de la génétique et renvoyant les autorités sanitaires à leurs responsabilités. Et pour certains chercheurs, si ces résultats rappellent la nécessité de ne pas prescrire du molnupiravir à tour de bras, il ne faut pas y renoncer purement et simplement.
« Bien sûr, il ne faut pas systématiquement prendre du molnupiravir quand on est infecté » au coronavirus, conclut l’infectiologue Chris Butler auprès du SMC. « Mais dans certains cas difficiles, c’est un médicament qui peut être très utile. »
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