Libération, partenaire du cycle de conférences «Qu’est-ce que la vie ?» organisé de septembre à janvier par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. A suivre, jeudi, «L’ARN : de l’origine de la vie au vaccin», une conférence de Stéphanie Bury-Moné, microbiologiste et enseignante-chercheuse à Paris-Saclay.
Chaque semestre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) analyse les épidémies de grippe qui ont sévi durant l’hiver de l’hémisphère Nord ou de l’hémisphère Sud, grâce aux données fournies par les autorités sanitaires de différents pays. Elle identifie les souches du virus qui sont les plus répandues à ce moment et émet alors une recommandation pour que les laboratoires pharmaceutiques puissent adapter leur vaccin contre la grippe saisonnière. Longtemps, le vaccin antigrippal a protégé simultanément contre trois souches du virus : deux souches de grippe A et une souche de grippe B. Puis les vaccins sont devenus «quadrivalents» : ils ont intégré une quatrième souche de virus grippal (de type B) pour ratisser encore plus large. C’est beau, les progrès de la médecine… Mais on n’a encore rien vu. D’ici quelques années, on disposera vraisemblablement d’un vaccin antigrippal quasi universel, efficace contre toutes les variantes humaines connues.
C’est la promesse soulevée par l’université américaine de Pennsylvanie, qui mène actuellement des travaux sur les souris. Leurs résultats ont été publiés cette semaine dans la revue Science : les chercheurs ont injecté aux rongeurs un vaccin expérimental visant 20 souches différentes de grippe et les souris ont effectivement développé des anticorps luttant contre toutes les souches, à un niveau d’efficacité qui est resté stable pendant quatre mois. Le prototype a également été injecté à des furets avec des résultats comparables.
«Cette stratégie pourrait offrir une option si la longévité de l’immunité chez les humains est confirmée», reconnaît Albert Osterhaus, chercheur en médecine vétérinaire à Hanovre (Allemagne), interrogé par le magazine New Scientist. «Les modèles de grippe fondés sur des souris et des furets sont aussi bons que possible pour des modèles animaux. Ces résultats prometteurs sont une bonne indication de ce qui se passera chez les humains», confirme le biologiste américain Peter Palese.
Ce bond en avant est rendu possible par une nouvelle technique de fabrication de vaccin qui a explosé au moment de la pandémie de Covid-19 : les vaccins à ARN messager. Les vaccins traditionnels contiennent un virus «inactivé», ou atténué, donc inoffensif pour la personne recevant l’injection, mais tout de même capable de déclencher une réponse immunitaire et entraîner l’organisme à se défendre contre ce virus. Cela marche très bien, mais nécessite de faire incuber les virus grippaux dans des œufs de poule, avant de les extraire et de les neutraliser. La technique «messagère» est beaucoup plus simple et beaucoup moins chère : il suffit de produire un brin d’ARN (une variante de l’ADN qui sert à transporter des informations dans nos cellules) qui contient le code génétique d’un fragment du virus cible. L’ARN de synthèse est injecté sous forme de vaccin et s’installe dans nos cellules. Celles-ci commencent alors à fabriquer le bout de virus en suivant les instructions du manuel, comme pour assembler un meuble. Contre le Covid, les vaccins de Pfizer et de Moderna permettent par exemple de refabriquer la protéine spike, une sorte de couronne d’épines qui entoure le coronavirus. L’organisme reconnaît comme un corps étranger et hostile le morceau de virus qu’il a lui-même fabriqué et apprend à s’en défendre par une réponse immunitaire.
La technique de l’ARN messager a révolutionné la production des vaccins, car il suffit désormais de connaître le génome d’un virus pour produire un vaccin efficace. Et si un nouveau variant du virus apparaît, on analyse ses mutations génétiques pour adapter l’ARN, et donc produire un nouveau vaccin en un clin d’œil. C’est ainsi que les vaccins anti-Covid ont pu s’adapter rapidement au variant omicron, et c’est ainsi que le vaccin de l’université de Pennsylvanie a pu viser 20 souches de grippe à la fois : il suffit d’y mettre 20 modèles de brin d’ARN.
Bien sûr, le vaccin antigrippal universel n’a aucun moyen de nous protéger contre de nouvelles variantes de virus qui viendraient à apparaître dans le futur – comme ça a été le cas en 2009, quand une nouvelle souche de H1N1 a causé une pandémie historique. Mais il pourrait être redoutable pour conférer une immunité de base à toutes les personnes âgées ou fragiles, par exemple. «Imaginez que la population soit primo-vaccinée avec ce produit, explique au média canadien CBC l’immunologue Scott Hensley, principal auteur de l’étude. Ce que l’on verrait n’est pas nécessairement une protection contre l’infection par de nouvelles souches, mais une réduction des hospitalisations et des maladies graves. C’est notre objectif principal.» Les travaux sur ce vaccin universel devraient bientôt passer au stade des essais cliniques de phase I sur des humains, pour tester sa tolérance et ses éventuels effets secondaires sur un petit groupe de patients.
Les résultats de Scott Hensley et son équipe «montrent comment on peut utiliser les vaccins à ARN d’une manière qu’on n’avait jamais envisagée auparavant, estime chez CBC la virologue Alyson Kelvin. C’est juste le début des perspectives qu’ouvrent les vaccins à ARN.» Un prototype de vaccin à ARN anti-VIH a été testé pour la première fois par Moderna en début d’année, et BioNTech planche de son côté sur un vaccin anticancer personnalisé, où l’ARN est adapté au profil biologique de chaque patient pour que son corps lutte contre ses propres tumeurs, uniques et spécifiques. L’ARN messager promet également de grandes avancées dans les traitements contre les myopathies, la mucoviscidose, la sclérose en plaques, les infarctus et même les morsures de serpents.
© Libé 2023
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