Un passage en force aux conséquences lourdes. Selon le communicant Philippe Moreau Chevrolet, le recours au 49.3 va sérieusement mettre un frein à la suite du quinquennat. « Je pense qu’aucune loi ne passera, il n’y a plus de majorité possible, car le crédit politique du gouvernement est épuisé », affirme ce spécialiste en communication politique, qui porte une analyse très dure sur la situation. « Très peu de parlementaires vont accepter de voir leur image associée à celle du gouvernement. […] C’est un peu le Titanic », ajoute le dirigeant de MCBG Conseil. Quant aux LR, ils « sortent en miettes » de la séquence. « On est dans une course politique avec le RN qui est bien parti pour l’emporter. Et c’est ça qui se joue, c’est l’avenir de la République », conclut le communicant. Entretien.
Le parcours parlementaire de la réforme des retraites se clôt finalement par un 49.3. Comment sort le pouvoir d’Emmanuel Macron de cette séquence, alors qu’il est soigneusement resté à distance ?
Un président ne devrait pas faire ça. Car il met en porte-à-faux sa propre majorité, avec tous ses alliés potentiels. Renaissance se trouve aujourd’hui en guerre contre l’ensemble des groupes parlementaires, LR, Nupes, RN. Ils n’ont plus virtuellement d’allié. C’est ce qu’on appelle dans l’histoire une chambre introuvable. Il n’y a plus de majorité possible. Des députés Renaissance ou Modem ont eux-mêmes commencé à douter de la ligne d’Emmanuel Macron, ils commencent à prendre leur distance. On a vu que plusieurs d’entre eux sont tentés de voter la motion de censure.
Comment peut se dérouler la suite du quinquennat ?
Il n’y a plus de possibilité de faire voter les réformes, il n’y a plus d’espace politique pour Emmanuel Macron. Il y a plusieurs grands projets qui sont supposés arriver et être votés, comme la loi immigration, qui sont probablement déjà mort-nés et qui ne pourront pas être votés. Non pas parce que les projets ne seraient pas acceptables, mais car très peu de parlementaires vont accepter de voir leur image associée à celle du gouvernement, pour ne pas se heurter à l’hostilité des électeurs, ne pas monter dans un bateau qui coule. C’est un peu le Titanic le gouvernement. C’est la faute politique d’Emmanuel Macron.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron est terminé. Il n’y a plus de possibilité de faire passer un agenda, une réforme politique. Très peu de partenaires seront prêts à jouer le jeu. Politiquement, le quinquennat est terminé et on va probablement embrayer rapidement dans la bataille pour 2027, car il a perdu le contrôle. Une manière de garder le contrôle, de s’en sortir, serait de retirer la réforme, de reconnaître que la réforme n’est pas bonne, dire qu’il a compris ce qu’exprimait le pays. Mais il est un peu tard pour ça, et on ne le sent pas dans cet état d’esprit. On a un gouvernement assiégé. Il peut y avoir une motion de censure votée, mais ça n’entraîne pas forcément de dissolution, mais juste un changement de premier ministre. Ou bien c’est la dissolution et une crise politique.
Mais rien n’obligeait au fond Emmanuel Macron à mettre le sujet des retraites à l’agenda. C’est un débat créé vraiment par l’exécutif, donc de façon artificielle, qui se retourne contre lui. Il y a eu énormément de signaux d’alerte qui indiquait qu’il fallait faire machine arrière : l’unité syndicale, une mobilisation dans la rue sans précédent depuis au moins 50 ans, des doutes exprimés par des députés de la majorité, plus une faiblesse des LR liée à leurs divisions internes.
Les macronistes font justement porter le chapeau à la droite, après avoir fait d’elle son alliée de circonstance. Les LR se sont montrés divisés, avec des chefs incapables d’imposer une ligne unanime. Les LR sortent-ils également affaiblis ?
Les LR sortent en miettes. On voit que la question du leadership n’est pas réglée. C’est l’échec du tandem Ciotti/Wauquiez. Le leadership LR est à prendre. Ça peut bénéficier à des personnes qui ont pu préserver leur image, comme David Lisnard. Ou à un candidat issu de Renaissance, mais bien ancré à droite, comme Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, qui ont été relativement épargnés dans cette crise, car on a vu Gabriel Attal, Olivier Dussopt, Olivier Véran monter au créneau. On a voulu faire défendre la réforme par des anciennes figures de gauche. Ça a permis de préserver un peu l’image des ténors de droite du gouvernement. Cela leur laisse peut-être, malgré cet échec historique, une possibilité de revenir.
Mais pour les LR, c’est une disparition politique, comme c’est arrivé au PS. Donc soit David Lisnard, Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire arrivent à faire quelque chose, soit c’est Marine Le Pen qui récupérera cette droite en déshérence, qui reconstruira un grand pôle conservateur dans la perspective de 2027. Et ça semble le plus probable.
Y aura-t-il un avant et un après 16 mars 2023 ?
Complètement, il y aura un avant et un après. Ce qu’il s’est passé est très choquant pour toute la classe politique, l’opinion, la presse internationale, l’image de la France à l’étranger. On est dans une crise politique profonde. On a dépassé le seuil d’alerte. Un Président ne devrait pas faire ça. On assiste à un abus de pouvoir. Et ça se paiera, d’une manière ou d’une autre.
Peut-on parler de crise de régime ?
Oui, c’est une crise de régime, on arrive au bout de la Ve République. Soit on bascule dans un régime autoritaire, et on a une réaction qui est dangereuse de la part du pouvoir, soit on bascule dans une remise en cause du régime et un changement de fonctionnement des institutions.
Emmanuel Macron veut justement relancer la réforme des institutions…
Le paradoxe, c’est que ça ne peut être fait par Emmanuel Macron, car on va le soupçonner de faire une réforme à son avantage, et il n’aura pas les moyens politiques de faire passer une réforme, quelle qu’elle soit. C’est impossible d’avoir la majorité des 3/5 au Parlement en l’état. Et un référendum serait une catastrophe. Il n’a plus de marge de manœuvre, il ne peut plus faire passer une réforme des institutions. Le quinquennat est fini. Je pense qu’aucune loi ne passera, il n’y a plus de majorité possible, car le crédit politique du gouvernement est épuisé.
Les macronistes sont devenus radioactifs ?
Oui, ils sont radioactifs, complètement isolés. Les députés macronistes ont le dos au mur, personne ne voudra s’associer à eux, car le prix politique est trop élevé. Personne ne voudra être de ce côté de la barque. Il faudra restaurer du crédit, ça prendra du temps, je ne sais pas si c’est possible. Et LR, qui était l’allié numéro 1 du gouvernement, se trouve attaqué par le gouvernement…
Le paysage politique est complètement éclaté. On arrive en bout de cycle. Le « en même temps » a détruit le PS et LR. Là, il faut recomposer et on est dans une course politique avec le RN qui est bien parti pour l’emporter. Et c’est ça qui se joue, c’est l’avenir de la République. Le seul qui peut débloquer la situation au fond, c’est le Président en retirant le projet de loi, en constatant que la manœuvre a échoué et qu’il est plus sage de remettre ça sur le chantier.